Chapitre 48 : Oh la belle bleue !
Depuis la conversation houleuse entre Angélique et moi, c'est la guerre froide au manoir. Pendant plusieurs semaines nous ne nous sommes pas adressées la parole. Durant quelques jours un "Tu me passes le sel ?" et un "Faut racheter du chocolat !" ont laissé présager un réchauffement des relations diplomatiques mère-fille, mais l'ambiance est redevenue glaciale suite à ce que j'appellerai "l'incident du mercredi soir".
Que s'est-il passé ? Eh bien profitant que je sois ce soir-là en déplacement pour une représentation de mon dernier spectacle, Miss Angélique en a profité pour aller passer la soirée au Velours Bleu avec ses amis.
Sauf qu'à son retour, la demoiselle était doublement attendue ! Car oui, Père semblait triste de voir l'évolution de sa petite-fille.
"Où étais-tu, jeune fille ?
- Ben euh simplement sortie prendre un verre avec des amis...
- Et tu sais quelle heure il est ?
- Euh...
- 2h du matin ! C'est la deuxième fois cette semaine ! Et je te rappelle que nous sommes encore en semaine, tu te lèves demain à 6h pour aller au lycée ! Et bien sûr j'imagine que les devoirs ne sont pas faits ? Alors tu files au lit, nous reparlerons de tout ça demain !"
"Angélique, malgré le fait que nous nous soyons fortement disputées il y a pas longtemps, j'ai voulu te laisser un peu de lest, et je t'ai accordé toute la liberté possible. Résultats ? Tes notes font du saut en parachute et tu te mets à sortir tard le soir en semaine. Ecoute ma chérie, je sais que les départs successifs de ton père et de ta soeur sont difficiles à digérer, mais je m'inquiète pour toi, je ne voudrais pas que tu mettes en péril ton avenir..."
"Non mais t'as pas bientôt fini de vouloir contrôler ma vie ? Et si mon avenir ne passait pas par les études, hein ? A ce que je sache, papa n'a aucun diplôme, et il s'en est sorti quand même non ? Et puis je t'ai déjà dit que j'aimais pas ce manoir et que je compte pas y passer ma vie, ALORS LÂCHE-MOI !
- Jeune fille, tu changes de ton tout de suite ! Et moi je t'ai déjà dit que ce manoir représente tout ce qu'a bâti notre famille, et que tu ne peux pas en partir, c'est ton destin !
- Alors ça, c'est ce qu'on verra !"
Et depuis, l'ambiance au manoir était plus froide qu'un soir de Noël au Pôle Nord. Heureusement, Matho était toujours aussi attentif à sa famille et me prodiguait conseils et réconfort depuis l'autre monde.
Il y avait bien eu l'anniversaire de ma salade verte pour ramener un peu d'animation et de chaleur.
Mais la pauvre Zira a plus eu affaire à deux blocs de pierre qu'autre chose. Bon, j'ai fait l'effort de placer deux ou trois blagues parce que c'est ma salade verte d'amour, mais on peut pas dire que tout le monde se soit bidonné...
Peu de temps après son anniversaire, ma petite soeur a enfin réalisé son objectif en mettant le pied sur sa planète d'origine, Sixam ! Depuis, elle y va régulièrement et a même tissé des liens étroits avec d'autres extra-terrestres.
Et puis un jour, je me suis rendue compte que ma fille avait changé. Pas de coupe de cheveux, ni de garde-robe (malheureusement !), et encore moins de comportement. Mais quelque chose en elle avait changé, et cela me frappa en la croisant bêtement dans un couloir du manoir.
Sa ligne ! Mon Angélique avait pris du poids ! Un bon bidon lui avait poussé de nulle part ! Or, s'il y a un point sur lequel je pouvais lui faire confiance, c'est son alimentation. Et là l'évidence m'a frappé avec son gant de boxe.
"Mais mais mais ! Ma petite puce, tu es enceinte ? C'est trop génial, je vais être mamie ! YAHOOOOO !!!!!! Non mais c'est qu'avec nos disputes, je commençais à désespérer d'avoir un jour des descendants !" Et puis j'ai réalisé.
"ENCEINTE ? A TON ÂGE ? NON MAIS QU'EST-CE QUI T'EST PASSE PAR LA TÊTE ???? ET TES ETUDES ??? C'EST QUI LE PERE, QUE J'AILLE LUI DONNER UNE FESSEE DONT IL SE SOUVIENDRA !!!!!!"
"Rah mais calme-toi maman ! Et figure-toi que... y a pas de père...
- Keuwa ? Tu vas pas me faire croire que tu es encore vierge et que le Grand Sim est venu te visiter quand même ? Non parce que c'est une blague vieille de deux mille ans, et personne n'y a jamais cru !
- En fait, j'ai réfléchi à nos disputes. Tout ce qui t'importe, c'est que je fasse la poule pondeuse pour perpétuer notre dynastie. Tu as bien laissé partir papa après qu'il ait accompli son rôle de mâle reproducteur, alors je me suis dit que ça serait sûrement pareil pour moi. Et je me suis dit que si je tombais enceinte, je pourrais ensuite faire ce que je voulais de ma vie et enfin me barrer d'ici.
J'en ai parlé à Tante Zira. Elle était d'accord avec moi, même si elle a fortement essayé de me dissuader. Mais j'ai tenu bon.
Le seul problème, c'est que je ne voulais pas porter l'enfant du premier péquenot mal lavé venu. Sans parler du fait que je n'y connais rien aux garçons moi ! Rose m'a bien appris quelques trucs, mais entre la théorie et la pratique, y a un gouffre. Et c'est là que Tante Zira m'a dit : "Je crois que j'ai la solution à ton problème !"
Alors je suis allé sur sa planète. Là-bas, ils ont l'habitude d'implanter des bébés dans le ventre des gens. Surtout que comme je suis une femme, c'était d'autant plus facile pour eux ! Alors ils ont pris mes gênes et ils les ont complété par des gênes extraterrestres, et ils ont mis le tout dans mon ventre ! Voilà comment je suis tombé enceinte sans approcher un garçon !
- Non mais dites-moi que je rêve ! Primo, sache que j'ai aimé ton père passionnément, et que je l'aime encore peut-être plus que tu n'aimeras jamais, alors ne t'avises plus jamais de le traiter de mâle reproducteur ! Deuxio, les enfants doivent naître de l'amour d'un couple uniquement, ce ne sont pas des objets qu'on commande et qu'on repasse chercher 30 min plus tard ! Tercio, tu te rends compte de l'avenir que tu viens de tracer à cet enfant ? Un enfant sans parents, seul avec une vieille femme pour grand-mère, et une grande-tante extraterrestre qui passe moitié de son temps sur une autre planète ! Tu crois vraiment que ton enfant va être heureux dans de telles conditions ?
Bon, de toute façon, ce bébé est là, on ne va pas s'en débarrasser, ça n'est pas dans les habitudes de la famille. Mais je te ne pensais pas capable de faire une telle bêtise ! Et je ne pensais pas que ton dégoût des enfants allait jusque là. Tu me déçois profondément, Angélique."
J'avais besoin d'air, alors je suis partie à la bibliothèque municipale disputer des parties d'échecs acharnées contre moi-même. Mais en réfléchissant, j'ai dû admettre qu'Angélique avait gagné. Maintenant qu'un enfant allait naître et que la famille allait continuer à vivre, plus aucune raison objective ne la retenait au manoir, si elle voulait vraiment partir. Et je ne pourrais pas me battre et la retenir éternellement, surtout seule...
Avec toutes ces émotions, j'en ai même oublié que c'était mon anniversaire ! Ma fille avait mal au dos à cause de sa grossesse, et moi à cause de mon premier lumbago !
Mais ma vieillesse ne m'a pas empêché de passer un savon à Zira, rapport au fait d'encourager sa nièce à se faire tripatouiller les gênes par des aliens. "Ecoute, Sara, tu devrais connaître ta fille depuis le temps ! Malheureusement, Rose et Angélique sont comme leur père, des filles de la nature, du grand air ! Le temps passant, tu n'aurais pu la retenir prisonnière ici ! Tu aurais préféré qu'elle finisse dépressive, ou qu'elle fasse n'importe quoi avec le premier imbécile venu ? Là au moins, la situation était sous contrôle avant que la pression ne fasse exploser la cocotte. Je reconnais que ça n'était peut-être pas la meilleure des solutions, mais c'est loin d'être la pire !" Malgré le temps qui passe, Zira est toujours la même, l'incarnation même du bon sens.
Et effectivement, après avoir accepté que ma fille devienne mère avant même d'être majeure, la situation fut beaucoup plus détendue entre nous et la tension disparut presque totalement. A tel point que le jour de l'accouchement, Angélique me demanda de l'accompagner.
J'étais émue de voir mon bébé, toute petite dans ces grands couloirs froids d'hôpital. Elle qui était toute menue, j'avais peur que l'accouchement se passe mal.
Heureusement, la sage-femme était très compétente, et j'ai arboré un grand sourire histoire de tromper l'ennemi... euh je veux dire détendre ma fille.
Et voilà qu'est née notre petite fée bleue, Tanja ! (prononcer Tania). Le spectacle de ma fille chérie prenant dans ses bras sa propre fille m'a même arraché une larmichette ! ...Bon ok, j'ai pleuré comme une madeleine.
