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Chapitre 59 : L'Ange et la Fée (2)

Une fois à bout de souffle, je suis allée m'asseoir dans le premier parc venu, histoire de reprendre ma respiration et de retrouver mes esprits. Wouah, quel échec. Je crois qu'il était difficile de faire pire, pour des retrouvailles... Pff, espèce d'idiote ! Tu t'attendais à quoi ? Qu'elle ait fait de toi sa seule et unique enfant par amour ? Tu parles ! Comment je n'y ai pas pensé plus tôt ? Et pourquoi j'ai autant flippé, bon sang de bois ?

Oh non me dites pas que... Si, c'est bien elle, et elle se dirige vers moi en plus...

".... "

"Tanja, je te prie de m'excuser... J'aurais dû te prévenir à propos des jumeaux..."

Des jumeaux ???

"C'était idiot, je le vois bien maintenant... Mais j'avais peur que ça te fasse un trop gros choc et que...

"... Des jumeaux en plus ?

- Oui, ce sont les caprices de la nature...

- Et ça n'a pas été trop dur de transporter deux bébés partout ?

- A vrai dire, c'est en grande partie pour eux que nous avons arrêté notre vie vagabonde..."

"Eh ben heureusement que c'est moi ton héritière hein !

- Mais... pourquoi tu dis ça ?

Et tout d'un coup, j'ai senti la moutarde me monter au nez.

- Non mais c'est sûr, des jumeaux, c'est pas rien quand même, ça vaut bien une belle vie tranquille dans une petite maison de banlieue..."

"Tu veux que je te raconte un truc ? Quand j'étais petite, pour tenir le coup de ton absence, je me disais que tu étais une super chef pirate trop cool partie explorer le monde à la recherche de trésors à ramener. Mais t'es pas une super pirate, t'es juste une ménagère naze de banlieue, le pire, C'EST QUE T'AS MÊME PAS ETE CETTE MENAGERE NAZE DE BANLIEUE POUR MOI !"

"JE SAIS, JE SAIS !!! Et je suis tellement désolée, si tu savais à quel point... Et je voudrais réparer ça, mais je sais pas quoi faire...

- Eh ben alors il vaudrait peut-être mieux que tu arrêtes."

Et je l'ai plantée là, en plein milieu du parc. Après c'est sûr, il n'y a aucune chance qu'elle revienne. Bravo ma fille, tu avais une chance et tu l'as ruinée en beauté. Je me sens honteuse et sale...

En rentrant au manoir, lorsqu'Henry m'a lancé un bête "alors ?", je me suis effondrée dans ses bras et j'ai pleuré pendant trois bons quart d'heure.

Heureusement les biscottos de mon amoureux valent leur pesant d'or, et il a attendu sagement sans poser de questions que ma rivière de larmes se tarisse. Il lui a suffit ensuite de quelques grimaces et regards complices pour faire revenir un pâle sourire sur ma figure. Puis il m'a juste dit "Tu as l'air épuisée. Dors, on parlera demain, si tu le souhaites." Et je me suis endormie dans ses bras comme une enfant.

Le lendemain, reposée mais pas vraiment réconfortée, j'ai essayé d'aller travailler en mettant de côté tout ça. Mission : impossible ! Même avec mon compagnon robotique à mes côtés, les images de la vieille tournaient en boucle dans mon esprit. L'enfant et l'adolescente réclamaient justice, l'adulte et la mère voulaient pardonner. Autant dire que ça bataillait ferme dans mon esprit.

Il est 14h quand je reçois un sms venant d'Henry : "RDV 19h30 à la fontaine du parc de Willow Creek." Avare de précisions, mais tel que je le connais, il doit déjà préparer quelque chose pour me remonter le moral.

19h30 pétantes, j'arrive au parc. Et en m'approchant de la fontaine, je constate que soit la chirurgie esthétique a fait de sérieux progrès, soit ça n'est pas mon fiancé. Il perd rien pour attendre.

"Bonsoir Tanja, content de voir que tu es venue à notre rendez-vous.

- Bonsoir, M'sieur... euh...

- Baratto. Mais appelle-moi Ronan, je t'en prie.

- Ok... Ronan.

- Et pardonne à ton fiancé, tout cela était mon idée, et j'ai insisté pour qu'il envoie le message fixant le rendez-vous.

"Il y a certaines choses dont je voulais absolument discuter avec toi, et après hier ce petit tour me semblait le moyen le plus simple d'y arriver sans passer des heures à te convaincre.

- Moi je n'ai plus rien à dire, et surtout pas à vous.

- Nous verrons. Pour l'instant, viens, nous allons nous mettre à l'écart pour être plus tranquilles."

"Saucisses aux poivrons au menu, ça te va ?

- Jusqu'ici je mourrais de faim, mais bizarrement je viens de ressusciter...

- Ha ha, très drôle."

"Tu sais, ta mère n'a pas réussi à dormir de la nuit à cause de ce qui s'est passé hier soir entre vous. Si tu l'avais vue, je crois qu'elle n'a jamais autant pleuré, du moins devant moi.

-...

- Il faut dire que Laura est vraiment rentrée au mauvais moment. Ta mère avait préféré d'abord te voir seule avant de faire les présentations, mais le hasard en a décidé autrement. 

"Ecoutez, Ronan, c'est très gentil ce que vous êtes en train de faire, mais après le désastre d'hier soir inutile d'insister, il vaut mieux laisser les choses comme elles sont.

- Je crois que tu ne comprends pas bien, au contraire. Je n'essaye pas de te convaincre, ni de te sermonner, tu as passé l'âge. Je veux juste que tu saches à quel point vos retrouvailles comptaient pour Angélique, et à quel point elles comptent encore. Et je veux que tu me dises clairement quel est le problème.

- Eh bien, c'est simple, je...

- Oui ?

- Euh... Non, en fait ça n'est pas simple. J'ai passé mon enfance à haïr une femme qui m'avait mise au monde sans le moindre amour, comme on avalerait un cachet d'aspirine pour faire passer une douleur, tout en aimant une mère dont l'absence prolongée jour après jour me rongeait de l'intérieur. Et ces sentiments sont encore là, encore mélangés, et voir que d'autres ont eu la chance que je n'ai pas eu, ça m'a fait mal, oui, et j'ai préféré partir...

"Si c'est réellement ce tu penses, alors il est clair que tu ne connais absolument pas ta mère. Vois-tu, lorsque j'ai connu ta mère, elle avait ce regard qui brillait des mille feux de la joie de vivre. Partout où elle allait, elle avait ce regard avec elle, elle le posait sur tous les paysages et les monuments que l'on découvrait, et, je peux le dire fièrement, sur moi aussi. Et ça n'était pas de la simple naïveté mais du pur bonheur. Le jour même où nous avons emménagé dans notre maison, ce regard s'est éteint. Elle n'était pas dépressive, mais le contraste était palpable : elle était privée de quelque chose qui lui était essentiel. Bien sûr, l'arrivée des jumeaux a vite ramené un peu de joie dans tout ça, mais on était loin du compte. Mais lorsque tu as passé la porte de notre maison et qu'elle a pu te contempler pour la première fois, j'ai vu ce regard instanément. 

- Vous... vous voulez dire que..."

"Cette tentative de retrouvailles, ça n'est pas quelque chose de vain pour elle. Elle y pense depuis des mois, je dirais même depuis des années, et peut-être même depuis qu'elle t'a quitté. Si tu connais l'histoire de ta famille, tu sais qui était ton grand-père, mais aussi comment était ta grand-mère. Elle n'aurait jamais laissé partir ta mère. Alors oui, tu as été son ticket de sortie, le prix de sa liberté à payer. Mais crois-moi, je suis certain que depuis ce choix il ne s'est pas passé un seul jour sans qu'elle ne pense à toi, sans qu'elle ne veuille revenir vers toi...

- Et moi j'ai tout gâché...

- Je comprends que son absence t'ait fait plus de mal que je ne puisse l'imaginer, mais ton absence lui en fera beaucoup aussi. Mais elle reste malgré tout ta mère, et elle sera prête à pardonner et à attendre que tu reviennes vers elle jusqu'à sa mort. Alors je t'en prie, pardonne-lui, et redonne-lui une seconde chance. Une vraie chance que ça marche entre vous.

"Oui ! Oui ! Je ne demande que ça !

- Alors c'est parfait ! Reviens à la maison quand tu veux, cette fois on fera les présentations en bonnes et dûes formes !

- Merci Ronan, merci beaucoup. Ma mère a beaucoup de chance de vous avoir à ses côtés."

Et c'est comme ça que le lendemain au soir, Henry et moi nous nous sommes préparés pour un dîner "en famille".

"Alors, tu en penses quoi ? Pas trop décontract ?

- Vous êtes parfaite, mylady !

- Un grand merci, mon doux prince !"

"Merci d'avoir accepté cette invitation à dîner, Tanja ! J'ai cru comprendre que tu étais très occupée...

- Oui, entre le boulot au labo et les enfants, c'est pas de tout repos !

- Ah, j'ai hâte de les rencontrer, ceux-là ! Mais déjà ce soir c'est une première : mes trois enfants à table !

- Ha ha ouais, c'est fou !

Coup de coude de Henry pour que je décroche un sourire.

"Voici donc mes jumeaux :  Laura et François. Ils ont 17 ans, soit presque vingt ans d'écart avec toi !

- Ils sont plus proches de mon Helena alors ! Elle est presque ado !

- Ma chérie, Helena *est* ado...

- Ah c'était ça la grande asperge que j'ai vu hier au manoir ?

- Le manoir, comment est-il ? Il a beaucoup changé ?

- Pas tellement...

- Brr, enfant cette vieille bâtisse m'avait toujours procuré des frissons !"

Après quelques banalités nous sommes passés à table. Au début, il y a eu un silence gênant, mais les choses se sont très vite débloquées.

"Alors, François. Est-ce que tu sais déjà ce que tu veux faire plus tard ?

- Non, pas vraiment... Mais j'aime beaucoup tout ce qui est nature, et je suis aussi assez sportif. D'ailleurs, je fais partie de l'équipe de foot du lycée...

- Oh mais tu dois avoir la cotte après des jeunes filles alors !

- Euh ben, c'est'à'dire que..."

Hihi, il rougit, trop mignon.

"Et toi Laura ?

- Laura aime beaucoup tout ce qui est créatif, et ce depuis toujours. Elle dessine, compose, écrit... Dis-leur !

- Euh... ben, oui, j'aime particulièrement la peinture !

- Ah ça, je suis sûr que c'est le côté Owlblod qui ressort !

- Et la semaine dernière y a eu le forum des métiers, et je me dis que je me verrais bien bosser dans l'édition, ou le journalisme, je sais pas trop...

- Ah mais attends ! Je suis journaliste au Sim Planet, si tu veux je peux te faire entrer un de ces jours pour te montrer !

- C'est vrai ? Merci !"

Une fois le repas fini et la vaisselle lavée, Angélique et moi on s'est retrouvées toutes les deux dans le petit parc derrière chez eux.

"Bon... Eh ben on s'en pas trop mal sorti ce coup-ci, non ?

- En même temps difficile de faire pire que la dernière fois...

- Ah ça c'est sûr !"

On s'est sourit. D'un sourire franc, malicieux. On sait toutes les deux que le chemin vers une relation mère-fille équilibrée sera long, mais on sait qu'on le fera ensemble, et c'est le plus important.

"Et promis tu viens voir les enfants ce weekend-, hein ?

- Mais oui, ne t'inquiète pas ! J'ai trop hâte de voir mes petits-enfants pour attendre éternellement !"

"Merci pour cette soirée, c'était juste génial.

- Merci à toi d'être revenue.

- A bientôt, Mère.

- A bientôt, ma chérie."

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